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Auteurs originaux : l'équipe d'Exploring Economics | 18 décembre 2016
Supervision et révision académique originale : Prof. Dr Friedrun Quaas
Traduction française : l’équipe d’Exploring Economics
La création de l'école autrichienne remonte au travail de Carl Menger, lui-même économiste autrichien. Les représentants de cette perspective économique sont donc appelés "autrichiens" alors même qu’ils n’ont souvent aucun rattachement géographique au pays. Les analyses économiques de Menger mettent l'accent sur le subjectivisme, l'utilité et le marginalisme (Quaas & Quaas 2013, 34). Les auteurs qui ont par la suite travaillé dans la tradition de l'école autrichienne ont élargi ce standard en y ajoutant plusieurs concepts fondamentaux. La littérature – tant chez les auteurs qui s'identifient comme "autrichiens" que chez ceux qui ne le font pas – a mis en avant les traits suivants comme propriétés distinctives de la perspective (voir par exemple Holcombe 2014,107ff ; Radzicki 2013, 145 ; Milonakis et Fine 2009, 254-25 ; Blumenthal 2007, 34-35 ; Hagemann 2010, 188) :
● l’individualisme méthodologique ;
● la notion de coût d'opportunité ;
● le subjectivisme ;
● la recommandation d’une politique de laissez-faire ;
● l’insistance sur le caractère dynamique et la temporalité dans les processus économiques ;
● l’incertitude fondamentale ;
● l’importance et la pertinence des prix et de la libre concurrence ;
● une théorie monétaire des crises ;
● une focalisation sur l'entrepreneur ;
● un apriorisme et un déductivisme fort ; et
● une aversion et une méfiance à l'égard de l'utilisation de méthodes mathématiques et statistiques en économie.
(Ces concepts sont expliqués plus en détail dans la suite du texte.)
Un temps considérable s'est écoulé entre la publication des Grundsätze (ndt : « Principes de l’économie ») de Carl Menger en 1871 et la publication des écrits des économistes autrichiens contemporains (appelés Nouveaux Autrichiens), au cours duquel beaucoup de choses se sont passées. Menger, qui peut être considéré comme le fondateur de la perspective, a été une figure centrale de la révolution marginaliste en économie et a apporté une contribution énorme au développement de la théorie de la valeur subjective et de la théorie des rendements marginaux décroissants. Au cours du XXe siècle cependant, l'école autrichienne a dû faire face à des ruptures historiques, qui ont trait à l'émigration forcée de ses membres d'Europe vers les États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi qu'à la marginalisation de ses représentants au sein du monde universitaire vers le milieu du siècle dernier. Cette "histoire turbulente" fait qu’il est difficile de dresser un tableau cohérent et uniforme de l'école autrichienne. On ne peut pas considérer qu’elle est le fruit d’un développement linéaire et homogène commençant par Menger et menant aux auteurs contemporains. Par conséquent, les travaux d’histoire de la pensée économique ont plutôt divisé l'école autrichienne en quatre - ou cinq si l'on compte les Autrichiens actuels - générations ou étapes (Quaas und Quaas 2013 ; Blumenthal 2007).
Les différences historiques et analytiques entre ces différentes générations seront discutées plus en détail dans la section 8. En attendant, la suite du texte va développer une description idéal-typique, qui met l'accent sur les points communs plutôt que les différences au sein de la pensée autrichienne.
Pour ce faire, les auto-descriptions des Nouveaux Autrichiens serviront de source parmi tant d'autres. Dans ce contexte, il est nécessaire de noter que les perspectives marginalisées de la pensée économique ont consciemment essayé de se décrire comme un paradigme cohérent. Cela fait partie d'une stratégie politique, puisqu'ils peuvent alors se présenter comme des alternatives bien développées au courant dominant (Backhouse 2004, 268). En conséquence, dans le texte qui suit, l'auto-description des Nouveaux Autrichiens sera évaluée de manière critique et complétée si nécessaire. Ce faisant, l'intention est d'empêcher la reproduction d'un "autrichianisme bâtard" (Quaas und Quaas 2013, 33), qui, consciemment ou inconsciemment, réinterprète en la trahissant la pensée de l'école autrichienne d'origine.
Les recherches qui sont menées dans la tradition des écoles autrichiennes se focalisent sur l'étude de la coordination économique entre les individus. Ce thème est, dans une certaine mesure, déjà visible dans l'œuvre de Menger (Blumenthal 2007, 36). Pourtant, la préoccupation centrale de Menger était la tension entre les besoins humains et des biens rares donnés de façon exogène. Cela rapproche sa conception du problème analytique central de l'école néoclassique, qui met également l'accent sur l'allocation efficace des ressources (Yagi 2010, 32-33). Et pourtant les Autrichiens, qui se réfèrent aussi aux travaux de Friedrich A. von Hayek, ne sont pas tellement intéressés par l'étude des équilibres du marché ou de l'efficacité des marchés (cf. Holcombe 2014, 51). Au lieu de cela, l'économie de marché est conçue comme un mécanisme de coordination qui permet aux individus d'utiliser l'information pour planifier leur activité économique d'une manière qui, en fin de compte, sera cohérente avec les plans de tous les autres acteurs économiques. Les Autrichiens ont donc une vision positive des marchés, mais ils reconnaissent aussi que ce mécanisme de coordination ne fonctionne pas toujours parfaitement. Pour eux, l‘un des objectifs les plus importants de l'analyse économique est donc de savoir pourquoi la coordination pourrait s'effondrer de temps en temps (Holcombe 2014, 2). D'une manière générale, on peut dire que les recherches de l'école autrichienne s'intéressent à la compréhension des processus liés à l'allocation des ressources et à la coordination des plans de l'offre et de la demande (Holcombe 2014, 5).
Les économistes autrichiens conçoivent le marché comme un processus. Une hypothèse centrale est que la coordination des plans individuels pour l'offre et la demande ne fonctionne jamais parfaitement parce que les plans concernent l'avenir et sont donc sujets à une incertitude fondamentale (Holcombe 2014, 1), ce qui fait qu'un équilibre des prix et des quantités de biens et de services ne peut jamais être atteint. Bien qu'il existe des tendances qui tirent les marchés vers un état d'équilibre, les Autrichiens soutiennent en effet que l'environnement du marché lui-même est soumis à des changements continus dans les préférences, la technologie et les connaissances. En outre, l'information nécessaire pour parvenir à un équilibre est vue comme dispersée parmi tous les acteurs au sein du marché, ce qui rend impossible l’agrégation devant mener à un état d’équilibre. Pour les Autrichiens, l'équilibre de marché n'est donc qu'un concept hypothétique, qui a néanmoins été utilisé par certains de leurs représentants à des fins d'analyse (par exemple par Hayek en 1976, voir Quaas und Quaas 2013, 142). Quoi qu’il en soit, il ne peut être selon eux considéré comme une description adéquate de la réalité. Au lieu de cela, l'équilibre du marché est conceptualisé comme un objectif qui se déplace continuellement. Les marchés tendent à s’équilibrer, mais une fois que les configurations existantes des prix et des quantités sont perturbées, ces perturbations entraînent un changement radical de la situation économique, ce qui empêche l'économie de revenir à l'état dans lequel elle se trouvait avant la perturbation (Holcombe, 2014, 11) (i).
Un autre élément analytique de l'école autrichienne est le concept d'ordre spontané, qui désigne l'état ordonné qui émerge des plans décentralisés des individus, et qui a été inventé par Hayek (1960, 38). Les résultats du processus de marché sont donc interprétés comme les "résultats de l'action de l’homme, mais non du dessein de l’homme" (Hayek 1969, 97-107). Ce jugement illustre le fait qu’aux yeux des Autrichiens, la planification centrale ou les stratagèmes et les prévisions effectuées par les gouvernements n’offrent pas ou très peu de performance économique. Au lieu de cela, la perspective autrichienne conclut que les autorités centrales ne peuvent ni prédire ni contrôler le comportement des individus (Holcombe 2014, 4).
Pour que cette coordination économique décentralisée et individuelle des plans via le marché puisse fonctionner, selon Randall Holcombe, il est décisif que de nouvelles informations émergent à travers le processus de marché (Holcombe 2014, 10). Cette fonction du marché s’illustre dans la conception de celui-ci comme une procédure de découverte. Selon cette vision, le marché génère des informations sur des rapports de rareté en constante évolution, ce qui permet ensuite aux individus d'adapter leurs plans d'avenir face à des conditions changeantes et de gérer les imprévus (Holcombe 2014, 10). Pour ce qui est des travaux de Hayek, il est important de noter que, dans ce contexte, les marchés sont compris comme des marchés concurrentiels, puisque les informations ne peuvent être générées que dans une situation de concurrence. Afin d'illustrer la fonction de découverte du marché, Holcombe utilise l'exemple de Leonard Read de la production d'un crayon. La production du crayon exige une coordination complexe des activités qui sont menées par différentes personnes conformément à la division du travail. C’est seulement à travers le processus de l’échange marchand qu’il est possible de découvrir les informations nécessaires sur les prix des facteurs de production (par exemple, le graphite) ; c’est de cette façon que les producteurs sont capables de décider de la combinaison de matériaux qu'ils utiliseront dans le processus de production. Le marché découvre donc la valeur des facteurs de production de même que la valeur des biens et services produits subséquemment. En même temps, les prix de marché agrègent l'information provenant de différentes parties prenantes au marché. Par conséquent, le producteur de crayons n'a pas besoin de savoir comment extraire le graphite pour pouvoir utiliser les connaissances de ceux qui connaissent le processus d'extraction. Le savoir reste décentralisé et pourtant les activités des acteurs économiques sont coordonnées de telle sorte qu'en fin de compte, un crayon pleinement fonctionnel est fabriqué. Les représentants de l'école autrichienne affirment qu'en l'absence de prix du marché, les acteurs économiques n'auraient qu'une capacité très limitée pour coordonner leurs activités économiques, car le savoir se caractérise par son caractère décentralisé et tacite (Holcombe 2014, 14).
En ce qui concerne la sphère de la production, les membres de l'école autrichienne font la distinction entre la gestion (ndt : « management ») et l’entrepreneuriat (ndt : « entrepreneurship »). Trouver la combinaison optimale d'intrants, et leur quantité optimale, afin d'arriver à la façon la plus efficace de produire par le biais d'une fonction de production donnée est appelée fonction de gestion d'une entreprise. Dans ce cas, les paramètres de la fonction de production sont considérés comme prédéterminés. L'entrepreneuriat, en revanche, dénote la découverte d'opportunités de profit jusqu'ici inexplorées. On y parvient en développant de nouvelles façons de combiner les facteurs de production, ainsi qu'en ajoutant de nouveaux facteurs de production et en modifiant (qualitativement) le rendement du processus de production. L'entrepreneuriat modifie donc la fonction de production elle-même (Holcombe, 2014 : 24).
Le concept d'entrepreneuriat est un élément central de l'école autrichienne, car c’est de lui que dépend la capacité du processus de marché à faire augmenter le bien-être. L'économie néoclassique développe le concept d'un équilibre efficace « au sens de Pareto », dénotant un état dans lequel personne ne peut augmenter son bien-être par des transactions supplémentaires sans aggraver la situation des autres. Pour les Autrichiens un tel état ne peut jamais être atteint. Au lieu de cela, ils soutiennent que le bien-être augmente continuellement grâce à l'activité entrepreneuriale et à l'innovation (ii).
Un autre aspect important qui figure en bonne place dans les analyses des Autrichiens est l'accent mis sur l'économie monétaire et la dynamique qui lui est associée (Hagemann 2010, 183). Carl Menger a commencé cette tradition de recherche en développant une théorie de la (marchandise) monnaie, qui adopte une perspective évolutive sur le développement de la monnaie, déclarant que l'émergence de la monnaie peut s'expliquer en termes d’ordre spontané résultant d'actions individuelles et non en termes d'intervention délibérée du gouvernement (Menger 1892, Holcombe 2014, 3-4).
Une autre analyse typiquement autrichienne est due à Eugen von Böhm-Bawerk, qui a élaboré dans sa théorie du capital et des intérêts (connue sous le nom de théorie de l'Agio), la thèse selon laquelle les biens actuels sont considérés comme plus précieux par les individus que les biens futurs. Ce raisonnement est souvent utilisé dans la science économique contemporaine pour fournir une justification à l'existence de l’intérêt. Mais Böhm-Bawerk explique plus en détail le processus de création de valeur, c'est-à-dire la capacité du producteur à générer un revenu supérieur à la dette et à l’intérêt. Il soutient que cela peut s'expliquer par le fait que le producteur utilisera l'argent emprunté pour acquérir des biens d'équipement qui, à leur tour, peuvent être utilisés pour étendre le processus de production en y ajoutant d'autres étapes. Ces étapes supplémentaires augmentent la sophistication technologique du processus de production, ce qui permet d’améliorer le produit à la fois en termes de qualité et de quantité (Quaas und Quaas 2013, 69-72) (iii).
La compréhension de l'économie par les processus a également inspiré un autre domaine de recherche auquel s’intéresse spécialement l'école autrichienne. Des membres de l'école ont tenté à plusieurs reprises de s'attaquer au problème des cycles économiques (« business cycles »). Joseph Schumpeter (1911), Friedrich von Hayek (1931), Gottfried Haberler (1937) et Ludwig von Mises (1949), entre autres, ont développé des théories sur les cycles économiques et les crises économiques. Alors que la théorie de la destruction créatrice de Schumpeter met l'accent sur la destruction créatrice des secteurs économiques établis par les entrepreneurs et traite beaucoup des processus d'innovation, les autres explications placent la dynamique de la monnaie (endogène) au centre de leur analyse. Les théories concernant la dynamique monétaire et les crises financières ont suscité un regain d'intérêt ainsi que des discussions controversées au cours de la crise financière mondiale de la fin des années 2000. C'est pourquoi, dans la section 7, la théorie autrichienne du cycle économique telle qu'elle a été développée par Mises et Hayek est présentée et examinée en détail.
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L'école autrichienne souscrit à un subjectivisme fort ainsi qu'à un individualisme méthodologique et peut-être même ontologique (Blumenthal 2007, 35). Le subjectivisme signifie que le seul monde existant est celui qui est perçu par les individus. Même s'il s'agit à première vue d'une affirmation épistémologique, elle a néanmoins des implications ontologiques, puisqu'elle stipule que les faits sociaux - comme les prix et les coûts - n'existent qu'à l'intérieur de l'individu (Hall et Martin 2011). Par conséquent, même si des agrégats ou des institutions peuvent être discutés, ils peuvent toujours être réduits à des individus car les individus constituent, avec leurs actions, le point de départ de ces entités (Hall et Martin 2011, 4).
Les problèmes économiques de ces acteurs individuels sont la coordination des plans et l'agrégation des connaissances. Dans le contexte économique, les individus peuvent agir soit en tant que consommateurs, soit en tant qu'entrepreneurs. Les consommateurs expriment leurs demandes, ce qui détermine l’allure du marché, tandis que les entrepreneurs sont capables de détecter des demandes encore inexplorées (Holcombe 2014, 21, 24). Cette analyse est fortement associée aux problèmes de l'incertitude, de la dispersion des connaissances et de l'information, ainsi qu'au changement des conditions de l’environnement au cours du temps historique. Les représentants plus anciens de l'école, cependant, donnent priorité à l’analyse de l'allocation de ressources rares (cf. Yagi 2010, 27).
La manière dont les Autrichiens conçoivent la nature humaine est, dans une certaine mesure, similaire à celle des économistes néoclassiques. Pourtant, certains Autrichiens ont développé une image plus élaborée de la nature humaine. Là où Menger défendait une compréhension plutôt simpliste basée sur la construction de l'homo economicus, avec rationalisme instrumental, maximisation de l'utilité et information parfaite (Quaas und Quaas 2013, 38), d'autres Autrichiens ont intégré des composantes sociales telles que les institutions, le pouvoir et l'environnement social dans leur vision de la nature humaine (par exemple Wieser, cf. Arena 2010, 112-113). Cette prise en compte des facteurs contextuels ne signifie toutefois pas que l'accent mis sur l'individu comme seul sujet d'action est abandonné. Cela signifie seulement que les actions de l'individu changeront dans la mesure où il recevra des données variables en fonction du contexte historique.
Une autre façon dont à tout le moins les nouvelles générations d'Autrichiens diffèrent des économistes néoclassiques réside dans leur assouplissement du concept de maximisation de l'utilité. Même si les individus agissent pour atteindre leurs objectifs personnels, ils n'agissent pas comme des maximisateurs d'utilité au sens strict. Au lieu de cela, ils n'agissent qu'en fonction de leurs préférences. Dans un contexte d'incertitude, une action ne peut être menée qu’avec des attentes à l’égard de ses conséquences. Seul l’accomplissement de l'action permet de savoir si l'action procure ou non plus d’utilité. Cela signifie qu'il ne peut y avoir d'optimisation tendant vers un optimum global. Comme les actions sont effectuées dans le temps historique, il n'y a aucun moyen de vérifier si des actions alternatives auraient pu générer plus d'utilité (Holcombe 2014, 31). De plus, les préférences sont considérées comme instables ; elles sont à la fois subjectives et dépendantes des prix (Holcombe 2014, 19). Cela conduit à nouveau à l'incertitude radicale et à la complexité au niveau du marché.
L'incertitude et les préférences variables impliquent également une conception dynamique du temps. On suppose ainsi que les décisions prises par les gens dans le présent ont des conséquences directes sur les conditions futures. Les gens font des plans basés sur les connaissances qu'ils ont aujourd’hui, et forment des attentes pour demain. Bien que l’avenir soit difficile à prédire car des événements imprévus se produisent à cause de l'incertitude, les individus font cependant des expériences et accumulent des connaissances, deux choses qui leur permettent de développer des attentes plus ou moins réalistes à l’égard du futur.
Dans la tradition de l'économie autrichienne, les chercheurs mettent fortement l'accent sur la composante subjective de l'acquisition des connaissances. Cela n'a donc pas de sens de parler de phénomènes objectifs auxquels on peut arriver par l'expérience sensorielle ou l'observation impartiale. Au lieu de cela, toutes les connaissances liées aux phénomènes sociaux sont obtenues par l'interprétation des individus et sont donc socialement construites. Hayek a souligné ce point en déclarant que "en ce qui concerne les actions humaines, les choses sont ce que les gens pensent qu'elles sont" (cité dans Hagemann et al. 2010, 257). L'économiste autrichien contemporain Peter Boettke déclare également que "les faits des sciences sociales sont ce que les gens croient et pensent" (voir Boettke). Don Lavoie soutient que cette conception autrichienne de la science interprétative s'inscrit dans la tradition de l'herméneutique, qui se concentre sur la compréhension interne et non sur les explications externes (Boettke et Prychitko 2011).
Contrairement à d'autres formes de constructivisme social radical, cette position n'implique cependant ni que la vérité scientifique est considérée comme relative, c'est-à-dire dépendante de l'observateur, ni que les propositions scientifiques ne peuvent être objectives. Les lois exactes dérivées déductivement par Menger cherchent à identifier les principes centraux de la vie économique, tandis que la praxéologie de Mises dérive à partir d’une série d’axiomes, des lois valides de façon intemporelle (voir Méthodologie [Section 5]). Par un raisonnement logique, le scientifique peut donc comprendre (verstehen) les types d'action sociale qui sont "nécessairement vrais" et séparables à la fois des contingences spécifiques à l’histoire et du but concret vers lequel l'action humaine est orientée. La praxéologie prétend en effet être une science universelle dénuée de valeurs, ce qui repose sur une ambition d’étudier la forme de l'action humaine pour en dégager les lois (comme la loi des rendements décroissants ou la rationalité des acteurs humains) sans se préoccuper du contenu spécifique de l'action (Selgin, 1990, 19).
Ces lois économiques universelles sont ensuite appliquées à une grande variété, voire à tous les phénomènes sociaux. Dans son œuvre majeure Human Action, Mises n'a pas tenté moins que de développer une science dont les lois s'appliqueraient indépendamment du "lieu, du temps, de la race, de la nationalité ou de la classe" (Milonakis et Fine 2009, 256). Dans une perspective historique, cet objectif de Mises peut être considéré comme un cas extrême, mais pas comme une déviance. Les membres de l'école autrichienne ont souligné à maintes reprises l'applicabilité générale du principe économique – c'est-à-dire un comportement individuel rationnel et rentable, qui vise la réalisation d’un objectif – de même que celle de concepts analytiques comme le subjectivisme et l'individualisme (Blumenthal 2007, 35). Emmanuel Hermann, un représentant moins connu de la perspective, a même soutenu que le principe économique peut s'appliquer à tous les aspects du comportement humain et même à la nature (Haller 1986, 198). Par conséquent, l'économie autrichienne est guidée par sa perspective et un certain mode de pensée plutôt que par un intérêt particulier pour un phénomène social précis.
La position de l'économie autrichienne en termes de questions méthodologiques en général, et la question de la vérification empirique en particulier, est plutôt curieuse. La forte insistance sur la déduction et l'apriorisme ainsi que le rejet des observations empiriques pour la génération de nouvelles connaissances est probablement lié au rôle et à l'affirmation de Carl Menger dans la célèbre Methodenstreit [dispute des méthodes] avec l'Ecole historique allemande. (iv) Friedrun Quaas suggère que les arguments de Menger défendant la théorie déductive contre la méthode réaliste-empirique, favorisée par les membres de l'École historique, ont conduit à une certaine "confusion" parmi les Autrichiens ultérieurs dans la mesure où ils aimeraient travailler empiriquement, mais pour des raisons théoriques, adoptent une position sceptique à l'égard de l'empirisme (Quaas et Quaas 2013, 40-41).
Dans le contexte de la praxéologie, on a fait valoir que les inférences statistiques ne peuvent jouer un rôle dans la formulation de la théorie. La raison en est que l'objectif des sciences sociales dans cette perspective est de trouver une voie interne – c'est-à-dire herméneutique – pour rendre les décisions humaines compréhensibles (Milonakis et Fine 2009, 256 ; Selgin 1990, 14). Néanmoins, la vérification d'hypothèses à l'aide de données empiriques a été considérée comme ayant une valeur scientifique par certains Autrichiens dans la mesure où elle peut aider à falsifier une théorie lorsqu'elle est appliquée à un cas particulier (par exemple Hayek cf. Hagemann 2010, 222). La falsification d'une théorie entière au moyen de tests empiriques comme le suppose le rationalisme critique est cependant rejetée. Le rationalisme critique, qui est souvent associé aux travaux de Karl Popper, soutient qu'une observation empirique qui contredit la théorie suffit à prouver qu'elle est fausse. L'illustration la plus célèbre de ce raisonnement est que l'observation d'un cygne noir falsifie la théorie selon laquelle tous les cygnes sont blancs. Les Autrichiens modernes ont cependant remis en question la validité de l'évaluation théorique selon ce principe, entre autres raisons parce qu'ils entretiennent une définition différente de ce qui est empirique en matière de sciences sociales (pour une discussion, voir Rothbard 1997, en particulier 64-66). Par conséquent, et conformément à leur orientation déductive, ils soutiennent que seule une faille logique ou une erreur dans l'élaboration de la théorie peut appuyer une telle falsification globale.
Une autre raison qui motive l'aversion des Autrichiens pour les méthodes statistiques et mathématiques est la complexité ontologique de l'économie. Kurt Leube soutient que de telles méthodes ne peuvent générer des connaissances que sur des entités qui sont statiques, qui ne pensent pas, n'agissent pas intentionnellement, n'apprennent pas et ne changent pas, comme les pierres ou l'eau, mais en aucun cas sur les humains (Leube 2010, 263). En conséquence, les Autrichiens communiquent souvent leurs arguments par des descriptions verbales ("science économique littéraire" dans les mots de Don Lavoie, cf. Boettke et Prychitko 2011, 136), ainsi qu'en utilisant des exemples historiques à des fins d'illustration. Les expériences de pensée et les analyses contrefactuelles font aussi partie de leurs méthodes de choix (Aimar 2009, 204-205).
La praxéologie excursus
La praxéologie est une approche méthodologique qui a été développée par des représentants de l'école autrichienne (en particulier Ludwig von Mises) et qui est construite avant tout autour de ‘l'axiome de l'action humaine’. Cet axiome stipule que (seuls) les individus agissent dans un but précis. L'analyse praxéologique se limite à se demander si un certain moyen remplit la condition d'atteindre une certaine fin. Les questionnements sur l'origine de ces fins sont considérés comme non pertinents pour l'analyse. Ce faisant, la perspective se prémunit contre les critiques qui soulignent l'existence de systèmes intersubjectifs d'évaluation et de besoins. Même si les gens peuvent s'influencer les uns les autres à l’égard de leurs fins, aux yeux des Autrichiens, cela ne change rien au fait qu'ils agissent pour atteindre ces fins. Même si certains partisans de la praxéologie et des approches épistémologiques et méthodologiques associées à Mises prétendent parfois parler au nom de tous les Autrichiens, il faut préciser que Hayek, par exemple, ainsi que le disciple de Mises Murray Rothbard, se sont distancés de l'apriorisme extrême et de l'hostilité envers l'empirique qu'implique l'analyse praxéologique.
Les caractéristiques politiques placent souvent l'école autrichienne à proximité du libéralisme et du libertarianisme et, par conséquent, la perspective est vue comme étant généralement hostile à l'État (Radzicki 2003, 145 ; Blumenthal 2007, 35). Avant d'approfondir les fondements théoriques de cette position, il y a deux réserves qu'il convient de noter pour évaluer cette revendication.
Le premier est historique et a trait à la grande hétérogénéité des positions politiques. Dans sa reconstruction historique de la perspective, Friedrun Quaas trouve parmi les représentants des trois premières générations d'économistes autrichiens (Quaas et Quaas 2013, chapitre 1) des attaches à la politique social-démocrate et réformiste (par exemple Emil Sax), au nationalisme conservateur (par exemple Friedrich von Wieser) et même au marxisme (par exemple Carl Grünberg). On pourrait faire valoir que les représentants qui n'adhèrent pas aux idéaux politiques du libéralisme ne devraient pas être inclus dans la définition des Autrichiens. Pourtant, une telle classification entraînerait l'exclusion, par exemple, de Friedrich von Wieser, l'un des membres constitutifs de la perspective.
La deuxième nuance concernant le lien des Autrichiens avec le libéralisme est traitée par Randall Holcombe. Il souligne que si l'on devait comprendre l'école autrichienne comme une science positive, il n'y aurait pas de lien nécessaire entre les analyses scientifiques et une attitude politique libérale. Dans ce contexte, la science positive signifie que la science décrit simplement la réalité telle qu'elle est et ne prend aucun parti sur ce qui serait souhaitable ou bon. Par exemple, l'école autrichienne en arrive à la conclusion que l'intervention du gouvernement a un impact négatif sur le processus de marché et diminue le bien-être. Une compréhension positive de la science impliquerait que cela doit être reconnu comme un fait scientifique, sans autre forme de conséquences dans un premier temps. Dans un second temps, ce fait serait ensuite intégré dans un processus de délibération normative, où la perte de bien-être comme quelque chose qui est considéré comme mauvais d'un point de vue normatif serait évalué par rapport à d'autres valeurs normatives qui pourraient être associées à l'intervention gouvernementale et, sur base du poids attaché à chacune de ces valeurs, une décision serait alors prise (Holcombe 2014, 107). Holcombe rejette cependant personnellement cette position et soutient plutôt que les systèmes économique et politique doivent être considérés comme interdépendants. Cela implique qu'une séparation des décisions économiques d’une part et politiques (donc normatives) d’autre part est artificielle (Holcombe 2014. 108).
La justification théorique du laisser-faire et des politiques pro-marché associées à l'école autrichienne découle de la conclusion que le marché alloue les ressources de manière efficace et résout le problème de la coordination (voir section 2). La vision sceptique des interventions gouvernementales sur le marché provient de l'hypothèse qu'une entité technocratique - contrairement au marché - ne sera jamais en mesure de comprendre la complexité du système économique ou de regrouper l'information dispersée des participants au marché d'une manière adéquate. Cet argument a été développé en particulier par Mises et Hayek au cours du Socialist Calculation Debate (Mises 1912, Hayek 1945) (v). Leur analyse soutient en outre que la régulation économique entraînera nécessairement des conséquences imprévues. Cela est dû à la complexité de l'économie, qui ne peut pas être pleinement comprise par la science. Selon les Autrichiens, si de nouveaux problèmes découlent des résultats d'une régulation, cela incitera le gouvernement à élaborer chaque fois de nouvelles régulations pour résoudre les problèmes qui sont apparus à la suite des régulations précédentes. Il en résulte un cercle vicieux qui, à long terme, conduira l'économie vers une planification centrale (Holcombe 2014, 108 ; Hayek 1944).
Outre l'État, il y a un autre acteur politique qui a fait l'objet de vives critiques de la part des Autrichiens dans un passé récent, à savoir les banques centrales. Cette critique découle des conclusions de la théorie autrichienne du cycle économique (décrite plus en détail dans la section 7). L'attitude négative des Autrichiens à l'égard des banques centrales provient de l'argument selon lequel un taux d'intérêt trop bas envoie des signaux de prix erronés aux entrepreneurs, ce qui entraînera à son tour des malinvestissements et, à long terme, un cycle d'expansion et de récession.
Certains représentants de l'école autrichienne ont reconnu le rôle du gouvernement dans la sécurisation des biens publics tels que les lois sur la propriété, la police et la défense extérieure. Quelques Autrichiens, comme Hayek, sont même allés jusqu'à penser à un revenu minimum garanti (Hayek 1944, 124-125). D'un autre côté, des membres plus radicaux ayant des liens avec la tradition de l'anarcho-capitalisme, comme Murray Rothbard, ont soutenu que même les biens publics peuvent être fournis par le marché d'une meilleure manière que par l'État (Holcombe 2014, 105-106). En conclusion, on peut affirmer qu'il existe quand même des liens étroits entre l'école autrichienne contemporaine et les positions philosophiques du libéralisme.
A la lumière de l'échec de la théorie économique conventionnelle dans le contexte de la crise financière mondiale, les représentants de l'école autrichienne ont fait valoir que leur théorie du cycle économique (ndt : dite théorie « ABC » pour « Austrian Business Cycle ») offre une alternative valable qui peut fournir une meilleure explication des crises économiques (Holcombe 2014, 69). La théorie ABC a d'abord et avant tout été développée par Hayek, qui a incorporé dans son cadre analytique la théorie du capital et des intérêts de Böhm-Bawerk et la théorie monétaire de Mises. Sur cette base, Hayek développe une théorie endogène du surinvestissement, qui part d'une économie en équilibre. Cet équilibre est toutefois perturbé lorsque les banques accordent des crédits supplémentaires aux entrepreneurs. Si l'augmentation de l’attribution de crédits ne coïncide pas avec l'augmentation de l'épargne, c'est-à-dire si il y a création monétaire, où le prix de l'argent (le taux d'intérêt) est inférieur au taux "naturel" du marché, alors un cycle d'expansion-récession et éventuellement une crise se produira. Voyant les taux d'intérêt bas et les interprétant comme un signal du marché, les entrepreneurs supposeront que les consommateurs ont changé leurs préférences et veulent consommer moins dans le présent et plus dans le futur. En conséquence, selon Hayek, les entrepreneurs investiront leur argent supplémentaire, qu'ils ont obtenu sous forme de crédit, en achetant des biens d'équipement, ce qui leur permettra de mettre en place un processus de production temporellement plus long et technologiquement plus avancé, ce qui générera plus de revenus. En se référant aux étapes de production de Böhm-Bawerk, Hayek dépeint cela dans un triangle. Dans le triangle, l'allongement du processus de production fait que le processus de production dure plus de temps, mais génère aussi une plus grande quantité de biens de consommation pour un prix inférieur à la fin du processus de production (cf. Quaas et Quaas 2013, 155, 203-204).
Figure 1. Effets d'un passage à un processus de production plus long et plus efficace, tel qu'élaboré graphiquement par Hayek (vi).
Si ce processus est réalisé grâce à un accroissement de l’épargne, il n'est pas problématique et se traduit par une augmentation globale du bien-être. Si c’est néanmoins l'expansion du crédit qui est responsable des changements dans le processus de production, il y aura une pénurie de biens de consommation dans le présent, en raison du fait que les entrepreneurs, grâce au crédit, ont un pouvoir d'achat supérieur à celui des consommateurs et les excluent de l’achat de biens de consommation, biens qu'ils convertiront en intrants pour leurs processus de production. En conséquence, les prix augmentent et la consommation diminue. Les consommateurs sont ainsi "forcés" d'épargner dans le présent, afin que les entrepreneurs puissent produire des biens de consommation à l'avenir. Cependant, comme l'épargne n'est pas volontaire, mais seulement la conséquence de la décision des banques d'étendre le crédit, un signal de prix erroné concernant les souhaits de consommation future des consommateurs est transmis aux entrepreneurs. Cela signifie que les entrepreneurs investiront dans des processus de production pour des biens qui en fin de compte ne seront pas vendus. Les investissements, par conséquent, s'avèrent être des malinvestissements. Dès que cela devient apparent, une crise se déclenche. En conséquence, les biens de consommation se raréfient, ce qui les rend relativement chers, et les biens d'investissement sont attachés aux mauvais processus de production. Selon la théorie ABC, la crise aide à rétablir les signaux de prix corrects, ce qui conduira à nouveau à des investissements rentables dans les bons processus de production (vii).
Pour des raisons d'espace, cette explication de la théorie ABC reste ici à un niveau très rudimentaire. Néanmoins, dans la section suivante, les critiques antérieures ainsi que les critiques contemporaines de la théorie sont brièvement traitées. Une première critique fondamentale de la théorie de Hayek a été livrée par Piero Sraffa. Sraffa (et d'autres) ont critiqué l'argument de Hayek au sujet du taux d'intérêt naturel en notant que, selon cet argument, il devrait y avoir un taux d'intérêt naturel pour tous les produits de base (Quaas et Quaas 2013, 166-169). Une autre critique est venue de Joan Robinson, qui a demandé dans quelle mesure le taux d'intérêt d'un triangle (c.-à-d. un processus de production) était lié au stock total de capital (et à son taux d'intérêt). Une critique plus récente, ainsi qu'un résumé et une élaboration plus détaillée des critiques précédentes, sont fournis dans Quaas et Quaas (2013). Georg Quaas aborde les déficits logiques, conceptuels et empiriques de la théorie. Une critique est que si le modèle est conceptualisé arithmétiquement, la différence entre un changement dans l'économie qui résulte de l'épargne volontaire et un changement qui survient en raison de l'expansion du crédit ne peut plus être maintenue ou observée (218-223). En outre, le modèle arithmétique conduit au résultat apparemment paradoxal selon lequel un processus de production plus intensif en capital et donc plus productif en revenus réduit la productivité du capital (214). D'un point de vue conceptuel, la vision linéaire des processus de production peut être remise en question, puisqu'elle exclut la possibilité de processus circulaires (224). Enfin, la théorie ne parvient pas non plus à expliquer la dernière crise financière lorsqu'elle est confrontée à des données empiriques (244-248).
Les Nouveaux Autrichiens, comme Ludwig Lachmann (1986) et Roger Garrison (2001, 2004) entre autres, ont répondu à certaines critiques et ont tenté de développer davantage la théorie ABC.
Un autre domaine de recherche de l'école autrichienne est la théorie de l'entrepreneur. Les contributions récentes font une distinction entre les entrepreneurs de Schumpeter (entrepreneurs pionniers) et les entrepreneurs de Kirzner (entrepreneurs adaptatifs). Alors que le premier est considéré comme perturbant et détruisant les équilibres économiques, introduisant un changement révolutionnaire, le second est adaptatif et cherche à développer des moyens rentables qui ramèneront un marché perturbé à l'équilibre (Hall et Martin 2011 ; Douhan et Henrekson 2007, 4).
Comme nous l'avons déjà dit dans l'introduction, la meilleure façon de différencier les différents courants de pensée au sein de l'école autrichienne est peut-être d'incorporer une perspective historique qui identifie un total de cinq générations d'Autrichiens. (Une liste plus complète des figures associées à chacune de ces générations se trouve à la section 10).
La première génération, qui entourait Menger (1840-1921), se caractérise par le développement de la théorie de la valeur subjective, du marginalisme et de l'utilité marginale ainsi que par l'accent mis sur l'individu. En plus, la Methodenstreit avec l'école historique allemande fait figure de point de repère au cours de cette génération et Menger a défendu et développé sa théorie déductive au cours de ce débat. En outre, la théorie monétaire, l'incertitude, la connaissance et le temps ont aussi joué leurs rôles dans le travail de Menger (Blumenthal 2007, 36). La deuxième génération est surtout représentée par Friedrich von Wieser (1851-1926) et Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1916). Comme nous l'avons déjà mentionné, Böhm-Bawerk a développé une théorie du capital et de l'argent qui accorde une importance particulière au temps. En revanche, Wieser est connu pour son développement sur la manière dont les prix des facteurs de production sont calculés à rebours à partir des prix (subjectifs) des biens de consommation. Mais Wieser a également réalisé des analyses sociologiques difficiles à concilier avec l'individualisme radical d'autres Autrichiens (Arena 2010). La troisième génération d'économistes qui est apparue en Autriche et qui avait des attaches avec les membres précédents et leurs institutions a cependant rompu avec la tradition analytique de l'individualisme ainsi qu'avec la tradition politique du libéralisme.
Carl Grünberg (1861-1941) et Othmar Spann (1878-1950) sont deux chercheurs qui représentent cette rupture radicale (Quaas et Quaas 2013, 78). À peu près à la même époque, Ludwig von Mises (1881-1973) a donné jour dans son Privatseminar à une nouvelle génération d'Autrichiens avec une orientation scientifique et analytique distincte. La quatrième génération, dont beaucoup ont dû émigrer aux Etats-Unis à la suite de la seconde guerre mondiale, se compose principalement de membres du séminaire de Mises. Tandis que certains participants se sont finalement dispersés et ont pris des rôles scientifiques en dehors de la communauté de l'école autrichienne, le membre du séminaire qui se distingue par son importance pour les Autrichiens contemporains est sans aucun doute Friedrich von Hayek (1899-1992). Avec Mises, Hayek a mis au point l’interprétation de l'école autrichienne à laquelle se réfère aujourd’hui la cinquième génération d'Autrichiens. Cette interprétation repose sur un libéralisme de marché fort, ainsi que sur une insistance sur le savoir, la théorie monétaire et les cycles économiques. Dans ce contexte, il convient toutefois de noter qu'il demeure des différences entre les adeptes de Hayek et ceux de Mises. Comme nous l'avons mentionné à la section 5, il existe différentes attitudes à l'égard de l'empirisme et de la praxéologie. Ludwig Lachmann (1906-1990), Murray Rothbard (1926-1995) et Israel Kirzner (1930- ) sont des membres éminents de la cinquième génération ou des Nouveaux Autrichiens. En ce qui concerne le principal intérêt de recherche des Autrichiens contemporains, Richard Neck identifie comme champs d'investigation actuels l'analyse institutionnelle, la théorie macroéconomique en particulier en ce qui concerne la déflation, la théorie de la croissance et les questions relatives à l'émergence des réglementations (Neck 2014, 123).
En ce qui concerne les liens des Autrichiens avec d'autres sciences, on peut noter que certains membres de l'école ont consacré leur carrière ultérieure à la théorie sociale et à la philosophie. La carrière de Hayek fournit un cas exemplaire de cette tendance. L'accent mis sur l'herméneutique qui prévaut chez les Nouveaux Autrichiens et la proximité avec l'œuvre de Max Weber qui est souvent mentionnée (cf. Kobayashi 2010) placent les Autrichiens, sur certaines questions, à proximité des sciences sociales interprétatives.
La centralité de l'offre et de la demande, de l'individualisme, du marginalisme et des coûts d'opportunité, d'autre part, dénotent la proximité de l'école autrichienne avec l'économie néoclassique (Koppl 2006, 239). On trouve une proximité similaire en ce qui concerne les recommandations politiques, qui favorisent le renforcement du marché vis-à-vis de l'État. De plus, il existe des liens avec l'économie évolutionniste, notamment en ce qui concerne les concepts d'innovation et d'entrepreneur (Koppl 2006, 237), ainsi qu'avec la psychologie, et l'économie comportemental, en ce qui concerne le rôle du savoir, et avec la nouvelle économie institutionnelle (Koppl 2006, 235).
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La relation entre l'école autrichienne et ce que l'on considère aujourd'hui comme l’économie dominante a été historiquement marquée par des tensions. Les deux premières générations d'économistes autrichiens (en particulier Menger, Böhm-Bawerk et Wieser), qui se sont concentrés sur l'individualisme méthodologique, la théorie de la valeur subjective et l'utilité marginale, se sont parfaitement adaptés à l'économie néoclassique et ont contribué à son développement. Pourtant, l'accent mis sur des questions telles que l'agrégation des connaissances et une théorie monétaire du cycle économique (par exemple par Mises et Hayek) a placés les premiers Autrichiens et leurs adeptes à l'écart du courant dominant (Milonakis et Fine 2009, 245-246). Un autre aspect qui sépare les Autrichiens contemporains du courant dominant est leur approche herméneutique de la compréhension du comportement humain et le rejet des méthodes économétriques communes dans la tradition dominante. Les Autrichiens contemporains se considèrent comme faisant partie de l'hétérodoxie de l'économie, qui est comprise comme faisant partie d'un nouveau courant dominant hétérodoxe, c'est-à-dire non néoclassique (Koppl 2006). Et en même temps, comme mentionné plus haut, la différenciation fortement mise en avant dans le langage par les Nouveaux Autrichiens lorsqu'ils se comparent au courant dominant, peut également être considérée comme une stratégie consciente d'une perspective pour se présenter comme un paradigme de recherche alternatif.
Universités:
Think tanks, sociétés:
Revues:
Personnalités:
1ère génération
a. Carl Menger
b. Emil Sax
c. Robert Zuckerkandl
d. Johann von Komorzynski
e. Victor Mataja
f. Robert Meyer
g. Hermann von Schullern Schrattenhofen
h. Eugen von Philippovich
2ème génération
a. Eugen von Böhm-Bawerk
b. Friedrich von Wieser
3ème génération
a. Carl Grünberg
b. Othmar Spann
c. Hans Mayer
d. Ludwig von Mises
4ème génération
a. Gottfried Haberler
b. Fritz Machlup
c. Oskar Morgenstern
d. Friedrich August von Hayek
e. Martha S. Braun
f. Alexander Gerschenkon
g. Alexander Mahr
h. Paul N. Rosenstein-Rodan
5ème génération (nouveaux autrichiens)
a. Hans F. Sennholz
b. Murray N. Rothbard
c. Ludwig Lachmann
d. George L.S. Shackle
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Hayek, néanmoins, a aussi envisagé un cas dans lequel une distorsion pouvait mener à un retour à l’équilibre de marché antérieur (Hayek 1935).
Joseph Schumpeter, qui est souvent considéré comme le fondateur de l’économie évolutionniste et l’un des fondateurs de la socio-économie, mais qui est également associé à l’école autrichienne, entretenait des doutes quant à la question de savoir si cette fonction de l’innovation entrepreneuriale pouvait survivre sur le long-terme. Selon Schumpeter, l’augmentation de la taille et la bureaucratisation croissante des entreprises et des organisations mènerait à une ‘obsolescence de la fonction entrepreneuriale’, ce qui en combinaison avec d’autres développements, entraînerait au bout du compte la fin du capitalisme (cf. Schumpeter 2011 [1942], 131–139; Quaas and Quaas 2013, 85–-88; Milonakis and Fine 2009, 191–-210).
Böhm-Bawerk entreprend une pondération des périodes de production, dans laquelle une période plus lointaine reçoit un poids plus important. En outre, il soutient que la période de production moyenne peut être utilisée pour évaluer l’efficacité de l’ensemble du processus de production. Voir aussi Quaas und Quaas (2013, 72-73).
La Methodenstreit (« querelle des méthodes » en allemand) est dans l’histoire intellectuelle, par-delà la sphère germanophone, une controverse des sciences économiques qui a commencé dans les années 1880 et qui a persisté pour plus d’une décennie, entre l’école autrichienne d’économie et l’école historique (allemande).
Les adversaires des autrichiens dans ce débat étaient des marxistes et des économistes néoclassiques. Le modèle de l’austromarxiste Oskar Lange a été formulé mathématiquement par les néoclassiques Kenneth Arrow et Leonid Hurwicz dans les années 1960. Il propose une solution analytique pour le calcul des prix dans un système socialiste à l’intérieur du cadre proposé par l’économie néoclassique.
Illustration graphique par Roger Garrisson: voir http://www.auburn.edu/%7Egarriro/b3beyond.htm
Pour une explication un peu différente par Roger Garrison, qui utilise la frontière des possibilités de production (FPP), voir https://www.auburn.edu/~garriro/ppsus.htm
Titre | Intervenant | Institution | Date de début | Niveau |
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An Introduction to Political Economy and Economics | Dr Tim Thornton | n.a. | 2022-01-30 | débutant |