Avec Exploring Economics, nous renforçons une science économique plurielle et des approches économiques alternatives.
Malheureusement, nous manquons d'argent. Nous avons actuellement un déficit de financement de 30 000 €.
Avec une petite contribution, tu peux aider Exploring Economics à rester en ligne. Merci!
Nous sommes une organisation à but non lucratif enregistrée | Compte bancaire: Netzwerk Plurale Ökonomik e.V. DE91 4306 0967 6037 9737 00 GENODEM1GLS | Mentions légales
Auteur original: Jan Meyerhoff | 18 décembre 2016
Supervision et révision académique : Dr. Tom Brökel
Traduction française : Tiphaine Rouault
L’économie évolutionniste analyse comment et pourquoi l’économie évolue. L’accent qu’elle met sur la nature changeante du capitalisme est une caractéristique déterminante qui la différencie des théories économiques non-évolutionnistes. Des sujets qu’elle privilégie parmi d‘autres sont donc la croissance économique, le changement structurel, les processus et systèmes d’innovation, le changement technologique, le changement institutionnel ou encore le développement économique. Ces sujets ne sont toutefois pas spécifiques à l’économie évolutionniste : le modèle néoclassique et les modèles «dominants» de l’économie, par exemple, peuvent également contenir des éléments dynamiques, comme des formes de dépendance au chemin emprunté. Les défenseurs de l’économie évolutionniste analysent néanmoins ces phénomènes sous un angle différent.
Eike W. Schamp (2012, 121) explique que le but des économistes évolutionnistes n’est pas de réaliser une historiographie de l’évolution économique au cas par cas, mais plutôt d’en rechercher des principes généraux. Selon Carsten Herrmann-Pillath (2002, 204), une théorie de l’évolution économique devrait être capable d’expliquer tout aussi bien le changement (par exemple l’innovation) que la stabilité (par exemple les processus de lock-in). Il faut noter par ailleurs que le domaine de l’économie évolutionniste lui-même est constitué de nombreuses approches différentes qui varient en particulier en fonction de leur interprétation du terme « évolutionniste ». En 1987, Ulrich Witt a néanmoins suggéré que les éléments fondateurs de l’économie évolutionniste étaient les suivants :
L’attention est portée en premier lieu sur les dynamiques économiques. Cependant, les dynamiques ne sont pas définies comme les mouvements entre les états d’équilibre causées par des circonstances extérieures. Ce sont en fait des processus continus dans lesquels les nouvelles conditions sont générées dans et par le système économique.
Un autre élément est le concept de ‘cours du temps historique irréversible’. Cela signifie que le développement économique est également influencé par des développements passés allant dans une direction donnée (dépendance au sentier). Ceci ne signifie pas que les événements historiques sont considérés comme des facteurs déterminants.
Un dernier élément est l’importance donnée à l’analyse de l’innovation et de la diffusion.
En ce qui concerne la conception de l’économie, il y a un certain nombre d’approches différentes parmi l’économie évolutionniste. Leurs principaux termes et concepts seront présentés dans les paragraphes suivants. Dopfer (2007) a développé un cadre théorique dans lequel il distingue des niveaux micro, meso et macro de l’économie qui seront repris comme principe d’organisation pour cette section. La perspective micro-meso-macro est seulement un des angles d’analyse possible des économie évolutionniste. Carsten Hermann-Pillath (2002), par exemple, insiste sur la structure de réseau du système économique.
Une différence majeure par rapport à l’économie néo-classique est la conception de la microéconomie. Selon Dopfer (2007), l’économie évolutionniste traite principalement la croissance et la coordination des connaissances économiques nécessaires. Les connaissances sont définies comme des habitudes ou une combinaison d’habitudes (Hermann-Pillath, 2002). Nelson et Winter (1982) ont été les premiers à utiliser la notion d’ « habitudes », tandis que Dopfer (2007) utilisait le terme « règles » pour un concept similaire. Les habitudes sont des règles de prise de décision qui sont répétées régulièrement et représentent une attitude acquise et usuelle pour l’acteur. Selon Dopfer (2007), ce genre de règles et d’habitudes sont constituées de phénomènes aussi divers que les technologies et les institutions sociales. De plus, une distinction peut être faite entre des habitudes dynamiques et statiques. Les habitudes dynamiques englobent par exemple les règles de design de nouveaux produits ou la structure organisationnelle formelle. Les habitudes statiques, en revanche, permettent la répétition d’activités passées et représentent les activités quotidiennes d’une organisation ou d’un acteur. Les connaissances sont considérées comme intégrées dans les opérateurs, c’est-à-dire les entités représentant ces habitudes (individus, organisations, entreprises, etc.) et les réseaux. Elles déterminent en tant que telle l’attitude de ces opérateurs et leur permettent de mener certaines actions, comme la production et les transactions du marché. Les thèmes principaux de l’analyse évolutionniste sont la création, l’adoption, la rétention et la coordination de règles considérées comme malléables, par apposition à l’économie néoclassique.
L’adoption d’une routine au sein de la population est la plupart du temps analysée au niveau méso. Dans les théories évolutionnistes, on suppose souvent que pluieurs acteurs forment une population. Les caractéristiques des acteurs varient ensuite dans et entre les populations. Selon l’objet de la recherche, ce sont les intervenants du marché, les industries ou les régions d’un pays qui sont percus en tant que populations.
Le darwinisme, pour expliquer le changement économique, offre un concept explicatif évolutionniste spécifique supposant que le changement est du à des mécanismes de variation, de sélection et de rétention (VSR). La supposition principale du paradigme VSR ainsi défini est que la population est constituée d’acteurs hétérogènes. Ces acteurs sont différents les uns des autres au niveau de leurs routines (variété) qui peuvent elles aussi changer dansl le temps (par exemple par l’apprentissage et l’innovation). Ces routines sont sujettes à des pressions sélectives, ce qui aboutit à un foisonnement des routines ayant un succès reproductif plus important dans la population. Le principal critère de sélection est généralement la mesure dans laquelle une routine facilite l’usage efficient des ressources essentielles à la reproduction.
Par conséquent, comme dans l'économie néoclassique, la rareté joue un rôle central, puisque l'on suppose que la concurrence pour des ressources rares conduit à une pression sélective. Ainsi, des routines mieux adaptées seront reproduites plus souvent. Par conséquent, les routines qui permettent des produits ou des méthodes de production plus efficaces que les routines concurrentes sont plus susceptibles de s'imposer sur le marché (Hermann-Pillath, 2002, 34). Le résultat de ce processus peut être compris comme une adaptation à l'environnement sélectif (Hermann-Pillath, 2002, 206).
Un autre concept évolutionniste crucial est la dépendance au sentier. Les défenseurs de ce concept mettent l’accent sur le fait que le point de départ d’un développement (les événements passés, ainsi que leur ordre historique spécifique et leur simultanéité) a un impact important sur le résultat final des activités économiques (David, 1984, dans Garud & Karnoe, 2001, 4). Ainsi, les développements actuels ne sont jamais libres de leur histoire (Hermann-Pillath, 2002, 232).
Le niveau macro est constitué d’un nombre important de règles et de plusieurs populations. Il n’est en tant que tel pas une simple aggrégation du niveau micro mais plutôt défini par l’auto-organisation des populations et des structures du niveau méso. Ceci signifie que des processus au niveau macro peuvent uniquement être expliqués grâce au niveau méso, soit l’analyse des populations à la place de celle des acteurs (Dopfer and Potts, 2007).
En résumé, le changement est majoritairement expliqué au niveau méso et peut être intégré ou limité par des structures au niveau micro et macro (Dopfer et. al., 2004).
Dans la section Découvrir, nous avons rassemblé des centaines de vidéos, de textes et de podcasts portant sur des problèmes économiques. Vous pouvez aussi nous proposer du contenu vous-même !
Là où l’économie dominante traite de l’utilisation optimale des ressources rares pour satisfaire les besoins personnels, il est suggéré dans l’économie évolutionniste que c’est le savoir qui est le phénomène central. C’est pourquoi l’incertitude et l’ignorance totale, soit l’absence de savoir, sont considérées comme les problèmes économiques principaux (Herrmann-Pillath 2002, 22). Ceci signifie que le fondement ontologique de l’économie évolutionniste se différencie radicalement de celui de l’économie dominante. La perspective évolutionniste considère les connaissances aussi bien que les individus comme étant des phénomènes réels (existant ontologiquement). Herrmann-Pillath (2002, 33) définit ceci en tant qu’ontologie bimodale. D’un point de vue méthodologique, l’économie évolutionniste considère que l’interaction entre les individus provoque la formation de nouvelles entités dont les caractéristiques ne peuvent pas être réduites au niveau individuel. Ce postulat est également connu sous le terme d’émergentisme. À propos du rôle des conaissances dans un tel système ontologique, Hermann-Pillath observe que “la prémisse ontologique fondamentale de l’économie évolutionniste est que dans les systèmes complexes de partage de savoir, seules les connaissances individuellement et subjectivement disponibles sont pertinentes en pratique, tandis qu’au niveau du système dans son ensemble, la performance est déterminée par le niveau général effectif de connaissances. Ainsi, ce dernier possède un statut ontologique propre en tant que cause indépendante de phénomènes économiques.” (Hermann-Pillath 2002, 33).
Sur le plan méthodologique, l'économie évolutionniste suppose que l'interaction des individus conduit à la formation de nouvelles entités, dont les caractéristiques ne peuvent être réduites au niveau individuel. Ce postulat est également connu sous le nom d'émergentisme. En ce qui concerne le rôle du savoir dans un tel système ontologique, Hermann-Pillath observe que "la prémisse ontologique fondamentale de l'économie évolutionniste est que, dans les systèmes complexes de partage du savoir, seul le savoir disponible individuellement et subjectivement est pertinent en pratique, tandis que la performance du système dans son ensemble est déterminée par le niveau global de la connaissance effective. Ce dernier a donc son propre statut ontologique en tant que cause indépendante de phénomènes économiques" (Hermann-Pillath 2002, 33).
Par conséquent, l’analyse se concentre sur des sujets économiques qui font seulement preuve d’une “rationalité limitée” plutôt sur des acteurs rationnels et cherchant à maximiser leur utilité. Ces sujets économiques ne sont capables ni de discerner toutes les actions possibles, ni d’évaluer leurs coûts et leur utilité, et ne sont ainsi pas en mesure de calculer une facon optimale de procéder. Il est suggéré à la place que les décisions des sujets économiques sont basées sur l’heuristique. Lorsque l’on retient une prise de décision basée sur l’heuritique, il n’y a pas de solution optimale, mais les solutions sont examinées jusqu’à ce qu’une possibilité soit trouvée qui satisfait l’objectif visé ou qui permet le dépassement d’une certaine limite pour atteindre un but (“niveau d’ambition”). Herbert Simon (1957) a inventé le terme “satisficing” pour décrire ce comportement.
Cependant, le concept de rationalité limitée - tout comme le concept néoclassique du comportement et ses hypothèses d’optimisation - ne parvient pas à justifier l’idée de création de nouvelles opportunités (Witt, 2001). Le concept de rationalité limitée explique seulement comment les décisions sont prises sur la base d’un ensemble d’alternatives clairement définies. En économie néoclassique, ce modèle de prise de décision est considéré comme parfait, tandis qu’en économie évolutionniste, il est considéré comme imparfait. Le but de l’économie évolutionniste est donc de dépasser l’idée d’un processus de prise de décision adaptatif et de concevoir un modèle cognitif créatif afin de vraiment rendre compte de l’action innovative (Röpke, 1977). Joseph Schumpeter, considéré comme l’un des pères fondateurs de l’économie évolutionniste, considérait le processus d’innovation comme le principal moteur du développement économique. Il concevait les innovations comme de nouvelle combinaisons du savoir disponible. Witt (2001) souligne que les humains ont la capacité d’imaginer des situations qui n’existent pas encore. Ils créent ainsi de nouvelles possiblités d’action, les testent et les mettent en oeuvre (Witt 2001)
Le postulat de l’ignorance fondamentale signifie que les connaissances peuvent toujours s’avérer érronées. Ainsi, chaque déclaration sur le monde est hypothétique. Cet axiome est associé à l‘épistémologie évolutionniste du réalisme hypothétique. Par conséquent, toutes les connaissances ne naissent a priori pas au niveau des individus. De même, les acteurs n’ont pas accès à toutes les connaissances mais perçoivent différents élément des connaissances générales, raison pour laquelle l’individualisme méthodologique ne peut pas fournir une explication suffisante du système. Les connaissances peuvent paraîtrent subjectives ou comme un phénonmène éméergent des interactions entre les acteurs du réseau. Les connaissances générales est ainsi plus importante que la somme des connaissances individuelles subjectives. L'épistémologie évolutionniste met l’accent sur l’apparation et la diffusion des connaissances plutôt que de traiter la question de la véracité des connaissances. Selon cette épistémologie, qui est principalement défendue par Konrad Lorenz, Donald T. Campbell, Gerhard Vollmer et Rupert Riedl, il y a au moins une réalité indépendante de l’être humain. Cette réalité possède une structure composée de relations causales existantes qui sont reconnaissables, au moins en partie.
Exploring Economics est un projet communautaire. En tant que rédacteur en chef, vous pouvez faire partie de l'équipe de rédaction. Vous pouvez également rejoindre l'un des nombreux groupes du mouvement international pour le changement des programmes d'études.
Contrairement à l’approche statique comparative de l’économie néoclassique, l’économie évolutionniste traite des dynamiques de l’économie dans le temps historique. L’économie évolutionniste fait des recherches à la fois déductives et inductives (Boschma and Frenken, 2006, 291). Elles ne cherchent pourtant pas toujous la généralisation. Au contraire, on reconnaît que les connaissances peuvent être limitées à un contexte spécifique dans l’espace et le temps.
De plus, l’économoie évolutionniste n’est ni exclusivement basée sur l’individualisme méhodologique (réductionnisme), ni sur le collectivisme méthodologique. Il y a, à la place des mécanismes de sélection tant au niveau des routines et des individus qu‘au niveau des entités de niveau supérieur (Bowles, 2004, 479). De plus, des modèles formalisés et des méthodes empiriques quantitatives sont tout aussi bien utilisées que des méthodes qualitatives. L’économoie évolutionniste est en soi très interdisciplinaire puisqu’elle n’applique pas seulement des concepts et des termes (p. Ex. Issus de la biologie) mais aussi des méthodes d’autres disciplines (p. Ex. L’analyse des réseaux sociaux – ARS).
Outre les techniques de régression largement utilisées, l’économie évolutionniste utilise l’analyse des réseaux sociaux pour examiner l’évoution des réseaux; la modélisation en mode agent et informatique; et la théorie évolutive des jeux. Cet ensemble de méthodes est complétée par des enquêtes et des méthodes qualitatives, telles que des interviews. L’économie évolutionniste embrasse donc l’ambition d’une méthodologie pluraliste, en accord avec le “anything goes” de Feyerabend. Ainsi, les méthodes qui se prêtent à l’analyse des développements et des dynamiques sont les plus utilisées.
L’interprétation positive de l’innovation et du changement peut être considérée comme un aspect idéologique de l’économie évolutionniste. Ainsi, l’économie innovative et adaptable peut être interprétée comme un point de repère normatif puisque le développement économique positif est imputable à la capacité à innover et à s’adapter à un environnement technique et économique changeant. Par conséquence, une grande importance est accordée aux politiques touchant à la recherche, l’innovation et la technologie. On peut considérer idéologique le fait que l’innovation soit perçue comme un principe directeur et que les facteurs déterminant l’innovation, eux-mêmes dérivées des théories économiques évolutionnistes, soit utilisés comme base pour le conseil politique. D’un autre côté, l’idéal néoclassique de marchés à l’efficience au sens de Pareto a tendance à être rejeté. Les théories évolutionnistes ne suggèrent pas que le bien-être global est maximisé par des marchés parfaits avec une compétition parfaite ou que la stratégie politique économique devrait aspirer à la création de ce genre de marchés compétitifs.
Par conséquence, la politique économique ne devrait pas seulement aborder le marché, mais plutôt “se reporter à la totalité et à la complexité des réseaux et de leurs dimensions dans lesquelles les processus qu’elle a l’objetif d’influencer sont incorporés” (traduction de Hermann-Pillath, 2002, p.441, propre traduction). Les défenseurs de l’approche du système d’innovation argumentent par exemple que, tout comme la défaillance du marché, une défaillance du système d’innovation national (“défaillance du système”) pourrait survenir, mais que cette défaillance pourrait être éviter par l’état et justifie ainsi des politiques d’intervention. Il n’y a toutefois pas d’accord sur l’organisation d’une économie adaptive et innovative, c’est-à-dire sur les moyens d’éviter une défaillance du système innovatif. Puisqu’aucun acteur politique n’a de connaissances parfaites, les interventions politiques peuvent également échouer. Outre la capacité cognitive limitée des acteurs, les problèmes à résoudre sont très complexes. Ainsi, des processus de prises de décision rationnels ou déductifs ont tendance à être rejetés. A la place, ce sont des processus inductifs basés sur des expérimentations qui sont adoptés. Dans ce contexte, l’importance des expériences passées et des connaissances disponibles pour la prise de décisions est accentuée (Metcalfe, 1994).
La théorie évolutionniste a par exemple trouvé le moyen de se faire entendre dans les politiques régionales de l’Union Européenne, qui visent entre autres à augmenter les activités de recherche et développement (R&D) dans les régions européennes. Un exemple est la stratégie appelée “spécialisation intelligente” qui a pour but de faire de l’Europe une zone économique innovative. Bien que cette stratégie ait été estampillée de spécialisation intelligente, il s’agit en réalité de diversification. La nouveauté de cette stratégie est que les décisions de diversification devraient être étroitement liées aux connaissances disponibles dans la région, par exemple que de nouveaux secteurs économiques soient “liés” aux